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Tag - tricolore

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samedi 4 mai 2019

Drapeau tricolore: le discours de Lamartine 1848

Le 24 février 1848 une insurrection renversa le roi Louis-Philippe, et un Gouvernement provisoire s’installa en proclamant la IIe République.

Le 25, certains révolutionnaires parisiens (dont Blanqui) essayèrent de faire adopter le drapeau rouge symbole du « sang généreux versé par le peuple et la garde nationale ». Le poète Lamartine devenu ministre des affaires étrangères s’opposa au drapeau rouge dans un discours devenu célèbre:
Citoyens, vous pouvez faire violence au gouvernement, vous pouvez lui commander de changer le drapeau de la nation et le nom de la France. Si vous êtes assez mal inspirés et assez obstinés dans votre erreur pour lui imposer une République de parti et un pavillon de terreur, le gouvernement, je le sais, est aussi décidé que moi-même à mourir plutôt que de se déshonorer en vous obéissant. Quant à moi, jamais ma main ne signera ce décret. Je repousserai jusqu'à la mort ce drapeau de sang, et vous devez le répudier plus que moi, car le drapeau rouge que vous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et en 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie.

Le 26 on arriva à un compromis. Il fut décidé que l’on conservait le pavillon et le drapeau national décidés par la Convention nationale "dont les couleurs seront rétablies dans l’ordre qu’avait adopté la République française"

Le 27, le délégué de la République au Département de la Police, le citoyen Marc Caussidière, chargé de l’exécution de la décision du 26, prescrivit qu’un drapeau bleu-rouge-blanc soit arboré sans délai sur les monuments et établissements publics.
Affiche_1848.jpg

Erreur ou volonté de proposer un drapeau tricolore revenu dans l'ordre des couleurs de la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 ? Une solution qui aurait permis de changer du drapeau bleu-blanc-rouge décrédibilisé par son utilisation comme symbole de la monarchie de Juillet (celle de Louis-Philippe).

Devant la violence des protestations, un décret du 5 mars 1848, et une circulaire du 7 mars rétablissent la situation en faveur du drapeau bleu-blanc-rouge.

Le 24 avril, élection d'une assemblée nationale où dominent les Républicains du lendemain (paraphrase ironique pour nommer les Royalistes et les Bonapartistes ralliés à la Révolution).

Le 20 décembre 1848, Louis Napoléon Bonaparte est élu président de la République.

De cette scène, il nous reste le tableau que fit Philippoteau, célèbre peintre d'histoire.

lamartine.gif

On y voit Lamartine tenant son discours devant l’Hôtel de Ville. Un drapeau rouge et un drapeau bleu-rouge-blanc sont portés par des manifestants, mais c'est un drapeau bleu-blanc-rouge qui domine sur le bâtiment.

vendredi 3 mai 2019

Drapeaux à canton (5): Pavillon français 1790-1794

Une révolte éclate dans l'escadre de Brest le 16 septembre 1790. Après envoi d'informations du chef d'escadre et rapport du comité de la marine, l'Assemblée Nationale, dans la séance du 21 octobre 1790, décide de modifier le pavillon pour y intégrer les couleurs nationales.
Auguste Jal décrit la discussion des membres de l'Assemblée dans un article de La France Maritime 1837 vol 1 page 115
On peut retrouver la retranscription exacte de la séance dans le Moniteur universel de Paris p115
Je souligne en gras les points essentiels qui furent évoquées pendant cette création.
Rappelons que depuis 1661, les navires de guerre français portent le pavillon blanc, couleur dynastique des Bourbons, comme pavillon de poupe. Et que depuis 1765, ce privilège a été étendu aux navires de commerce.

La discussion fut vive sur cette question. Le coté droit de l’assemblée tenait pour le pavillon blanc ; Mirabeau et le côté gauche opinaient pour ce qu’ils croyaient de nouvelles couleurs nationales. M. de Vandreuil, voulant écarter la proposition, qu’il voyait près de passer, disait : « J’ai une observation a faire sur le pavillon qu’on propose d’arborer : c’est le même que celui des Hollandais. »

M. de La Galissonnière, dans le même intérêt, ajoutait : « Il est d’autant plus nécessaire de conserver la couleur de notre pavillon, que ceux des Anglais et des Hollandais sont aux trois couleurs : d’ailleurs, vous occasionneriez des dépenses considérables… ll faut conserver à la monarchie son ancien pavillon. »

Mirabeau était trop habile pour laisser échapper le pauvre argument tiré des dépenses que le changement de pavillon devait amener, et dans un discours en réponse à toutes les objections du côté de l’assemblée qui lui était opposé, il jeta cette phrase dont je souligne à dessein les derniers mots, qui me serviront quand je discuterai plus bas l’origine des trois couleurs : « On a objecté la dépense, comme si la nation, si longtemps victime des profusions du despotisme, pouvait regretter le prix des livrées de la liberté. »

M. de Virieu ouvrit un avis qui finit par triompher ; il voulait bien que les couleurs nationales figurassent au pavillon, mais il prétendait que le pavillon restât blanc, quant au fond. Voici comment il exprima sa pensée : « Je ferai aussi quelques observations sur le pavillon qu’on se propose de substituer à celui qui a toujours fait l’honneur et la gloire du nom français. Tous les bons citoyens seraient effrayés si la couleur était changée. C’est ce pavillon qui a rendu libre l’Amérique. Un changement tendrait à anéantir le souvenir de nos victoires et de nos vertus. Je partage le sentiment qui a engagé le comité à nous proposer ce signe de notre liberté. En conséquence, je demanderai qu’a la couleur qui fut celle du panache d’Henri IV, se joignent celles de la liberté conquise, c’est-à-dire qu’il y soit joint une bande aux couleurs nationales. »

Mirabeau repoussa cette proposition comme les autres ; il ne vit dans l’intention de conserver le fond blanc qu’une pensée contre-révolutionnaire. Il répondit ensuite à une phrase méprisante de M. de Foucault, qui avait dit : « Laissez à des enfants ce nouveau hochet des trois couleurs ! »

Voici les paroles de Mirabeau : « Je dis qu’il est profondément criminel de mettre en question si une couleur destinée à nos flottes peut être différente de celle que l’Assemblée nationale a consacrée, que la nation et le roi ont adoptée, peut être une couleur suspecte et prescrite. Je prétends que les véritables conspirateurs, les véritables factieux, – on l’avait accusé de tenir le langage d’un factieux, – sont ceux qui parlent de préjugés à ménager, en rappelant nos antiques erreurs et les malheurs de notre honteux esclavage. »

M. Guilhermy répliqua qu’on ne pouvait vouloir la contre-révolution parce qu’on voulait conserver le drapeau blanc : « Comme si, ajouta-t-il, lorsque l’oriflamme suspendue à la voûte de cette salle ne porte pas les couleurs nationales, elle est un signe de contre-révolution. »

On ne répondit point à l’objection. Il semblait, en effet, que, pour être conséquente à elle-même, l’Assemblée nationale aurait dû avoir le drapeau tricolore dans le lieu de ses séances, au lieu de l’étendard, qui, au surplus, était encore celui de l’armée, auquel peu de jours après, seulement, on suspendit une cravate aux couleurs nationales.

L’Assemblée, après ces chauds débats, renvoya à son comité de marine la question de la forme de l’enseigne navale ; et, le 24 octobre 1790, un décret ordonna que le pavillon français porterait a l’avenir les couleurs nationales. Voici les dispositions principales de ce décret, qui donnait gain de cause à M. de Virieu.

« Art. 1er. Le pavillon de beaupré sera composé de trois bandes égales et posées verticalement ; celle de ces bandes la plus près du bâton sera rouge, celle du milieu blanche, et la troisième bleue. (On adoptait cette disposition des bandes verticales pour éviter la ressemblance avec le drapeau hollandais.)

Art. 2. Le pavillon de poupe portera, dans a son quartier supérieur, le pavillon de beaupré ci-dessus décrit ; cette partie du pavillon sera exactement le quart de sa totalité, et environnée d’une bande étroite, dont une moitié de la longueur sera rouge et l’autre bleue ; le reste du pavillon sera de couleur blanche. Ce pavillon sera également celui des vaisseaux de guerre et des bâtiments de commerce. »

Le comité de la marine fit exécuter sur une feuille de papier un modèle du pavillon de poupe, et l’envoya à M. de Fleurieu, nouvellement nommé ministre de la marine à la place de M. de La Luzerne, qui avait donné sa démission.

((/public/drapeau/fr_1790e.gif Note d’instruction sur le pavillon national de France Décrété par l’Assemblée Nationale le 24 Octobre 1790, & sanctionné par le Roi.

L’espèce de transaction qui avait timbré le pavillon de la monarchie des couleurs nationales, devait déplaire à la république ; elle n’y pensa cependant que longtemps après la mort de Louis XVI. Jean-Bon Saint-André, au nom du comité de salut public, proposa, le 27 pluviôse an II (15 février 1794), un décret qui supprimait le fond blanc et changeait l’ordre des couleurs. Ce décret fut adopté en ces termes :

« Art. 1er. Le pavillon décrété par l’Assemblée nationale constituante est supprimé.

Art. 2. Le pavillon national sera formé de trois couleurs nationales, disposées en trois bandes égales posées verticalement, de manière que le bleu soit attache à la gaule du pavillon, le blanc au milieu, et le rouge flottant a dans les airs. »

fr.gif

Jean-Bon ne pouvait proposer un changement si important sans expliquer la pensée du comité du salut public à cet égard. Voici quelques passages de son rapport :

« Un pavillon qui n’est pas celui de la république flotte encore sur nos vaisseaux. Les marins s’en indignent ; ils appellent à grands cris une réforme que vos principes, que l’honneur de la liberté réclament avec eux… L’Assemblée constituante apporta quelque changement ou plutôt une légère modification au pavillon ci-devant royal. Le peuple, fatigué de sa tyrannie, demandait que tout ce qui en retraçait le souvenir fut absorbé par les couleurs chéries de a la liberté ; des disputes sérieuses s’élevèrent dans le sein de cette assemblée sur la forme du pavillon national. On sentit bien qu’il fallait se soumettre à l’opinion publique ; … mais on tacha de l’éluder, même en paraissant la respecter : on conserva pour le fond la livrée du tyran. Et les couleurs républicaines, reléguées dans un coin du pavillon, n’attestèrent, par la mesquinerie ridicule avec laquelle on les y avait placées, que le regret de ceux à qui la puissance du peuple avait arraché ce faible sacrifice… Ce pavillon déplut presque également aux partisans du despotisme et aux amis de la liberté. Les uns ne virent dans cet alliage bizarre qu’une tache à ce pavillon, flétri par les Conflans et les Grasse ; les autres n’y virent, avec plus de raison, qu’une dérision, une caricature outrageante pour le peuple, que l’on comptait presque pour rien au moment où l’on proclamait sa souveraineté. L’imitation servile de la forme anglaise acheva d’indisposer les esprits, et ce fut avec beaucoup de peine qu’on parvint à le faire adopter. »