Le même auteur (Amédée Gréhan) dans le même livre (La France Maritime) page 115 et non page 56 donne des détails croustillants sur les raisons qui ont menées à la publication de ces ordonnances.
Il répare aussi l'erreur sur l'origine du mot pavillon.

Les marques distinctives des bâtiments marchands sont de trois sortes: pavillon national, marques de reconnaissance, signes d'arrondissement.

MARQUES DE RECONNAISSANCE

L’article 256 de l'ordonnance de 1765 octroyait aux armateurs de navires la faculté de prendre une marque quelconque, que leurs bâtiments arboreraient à la vue du port de destination. La forme et la couleur de cette marque étaient laissées au libre arbitre des capitaines et négociants, parce que la police de la navigation paraissait sans intérêt dans ce choix. Les choses allèrent ainsi jusqu'à la fin de l'année 1817. La politique se mêlait alors à toutes choses. La chute de l'empire, le double exil de Napoléon, et deux restaurations successives, avaient renouvelé les haines de 1789 ; les fautes ne manquèrent pas pour justifier la guerre qu'on faisait ouvertement ou en cachette au gouvernement des Bourbons; le bonapartisme et un sentiment plus large d'amour de la liberté donnaient de continuels et profonds regrets aux couleurs glorieuses sous lesquelles la France avait combattu pendant la période révolutionnaire; chacun s’ingéniait à produire, ne fût-ce qu’au moment, une cocarde ou un drapeau qui fit pâlir le blanc légitimiste : alors quelques armateurs, usant de la liberté que leur donnait l'ordonnance de 1765 , montrèrent aux ports des marques de reconnaissance composées de bandes ou de compartiments rouges, bleus et blancs.

Ce n'était pas sans doute le pavillon de la révolution et de l'empire; on ne pouvait point traduire devant les tribunaux ces emblèmes, qui n'étaient pas les fidèles représentations de la cocarde tricolore; mais on jugea qu'il était prudent de couper court à cette manifestation significative d'une opposition ennemie. Un règlement fut rédigé dans les bureaux sur les pavillons des navires du commerce, et présenté au roi Louis XXVIII par M. le comte Molé, ministre de la marine: le roi le signa le 5 décembre 1817. - On se hâta de le communiquer dans tous les quartiers maritimes pour qu’i1 eût à être scrupuleusement observé. Ce règlement dissimulait assez habilement la peur qui l'avait dicté; il reconnaissait, art. 1°’, la faculté laissée aux armateurs de joindre une marque de reconnaissance au pavillon français; mais il supprimait cette disposition de l'ordonnance de 1765 : telle marque qu'ils jugeront à propos. Puis, art. 6, et sans expliquer la cause de cette recommandation, le règlement disait:
Les armateurs seront tenus de faire connaître au bureau de l'inscription maritime les marques de reconnaissance dont ils voudront faire usage, et ils ne pourront les employer qu'après en avoir fait la déclaration, qui sera enregistrée et mentionnée sur le rôle d'équipage du navire.

Tous les inconvénients qu'on redoutait pour le port d'insignes coupables étaient prévenus par cet art. 6, qui créait un censeur, mais qui n'osait pas montrer toute la frayeur dont il était gros, en créant aussi une pénalité applicable à celui qui contreviendrait au règlement. On comprit très-bien dans la marine du commerce ce que le ministre voulait dire; mais M. Molé craignit apparemment que le roi ne sentît pas toute la portée de la disposition mystérieuse qu'il présentait à sa signature, et que M. le grand-amiral de France, duc d'Angoulême, devait contresigner aussi; car il prit la peine de la leur exposer dans un rapport, où je trouve le curieux passage que voici:
«... Dans ces derniers temps, quelques armateurs et capitaines, soit par malveillance, soit par inattention, ont abusé de la liberté dont ils jouissaient, pour arborer, comme marques de reconnaissance, des pavillons dont les couleurs rappelaient celui qui ne peut plus être aujourd'hui qu'un signe de rébellion.»

Il était donc nécessaire de prévenir de semblables fautes, mais sans éclat et en dissimulant le véritable motif des ordres qui seront donnés.
Cette cachotterie,—et c'est à dessein que je me sers d'une expression très-vulgaire pour parler d'une chose si peu noble, — cette cachotterie n'est-elle pas amusante? N'y a-t-il pas bien delà mesquinerie dans une pareille manière de procéder? On sait qu'on va s'exposer au ridicule, si l'on manifeste des craintes puériles; et, pour fuir le ridicule, pour cacher ses craintes, on s'arrange de façon à prévenir sans éclat les actes que l'on redoute; on trompe le public sur les véritable motif des ordres que l'on veut donner ! Cette petite ruse, cette grossière finesse, n'est pas un des moindres traits de l'histoire des commencements de la Restauration. On se voyait en péril, parce que trois couleurs proscrites se groupaient, dans un ordre quelconque, à la surface d'un pavillon d'étamine, et l'on n'avait pas la force de déclarer qu'à l'avenir toute combinaison du bleu, du rouge et du blanc était interdite ! C'était en tremblant et en mentant comme un écolier jésuite , qu'un ministre du roi de France composait un règlement sauveur dont il n'osait pas avouer le but et l'intention ! Ceci est très-plaisant quand on y pense! On prenait une résolution, et l'on se disait : « Qui jamais en saura la cause? » On n'oubliait qu'une chose... c'était de brûler le Rapport au roi!

Aujourd'hui, la marine marchande est encore sous l'empire du règlement de 1817, qui a trait non-seulement aux marques de reconnaissance mais encore aux signes d'arrondissement.

SIGNES D'ARRONDISSEMENT.

On sait qu'il y a cinq arrondissements maritimes; c'est-à-dire que le littoral de la France, de Dunkerque à la frontière d'Espagne, et de l'autre frontière espagnole jusqu'à celle du Piémont, est partagé en cinq grandes divisions, administrées par des préfets maritimes. Ces cinq arrondissements ont pour chefs-lieux Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort et Toulon. Chacune de ces divisions a été subdivisée en deux, et l'on a affecté pour la police de la navigation des signes à ces dix subdivisions. Autrefois les armateurs, pour se faire reconnaître de loin, se servaient généralement des pavillons des villes où ils faisaient leurs armements, ou des pavillons des provinces : on ne leur a pas accordé cette latitude par les dispositions du règlement de 1817. Ils sont obligés de faire arborer sur leurs navires les signes adoptés réglementairement par le ministère. Ces signes ont été arbitrairement formés et composés. Il y en a de deux formes : cornette et pavillon triangulaire ; il y a cinq combinaisons différentes de couleurs, comme on le verra par le tableau colorié qui est joint à ces explications. Le seul de ces signes qui rappelle un ancien drapeau provincial, c'est le premier, comportant quatre bandes horizontales alternativement bleues et blanches; ce sont les anciennes couleurs de Dunkerque, celles qu'illustra Jean-Bart.

PAVILLON NATIONAL.

Ce n'est que depuis 1765 que les navires marchands ont le droit de porter les couleurs de la France. Pendant les cent années qui précédèrent celle époque, des pavillons particuliers leur furent assignés, pour des raisons qui tenaient à l'honneur même du pavillon national. Quand l'enseigne française devint blanche, les vaisseaux du roi eurent seuls le privilège de la déployer sur leurs poupes; alors on laissa aux navires des particuliers le pavillon bleu à croix blanche, que les troupes de l'armée de terre et les vaisseaux de l'État ne devaient plus défendre. Cette distinction parut flétrissante aux navigateurs du commerce, quoique le vieux pavillon de la nation fût honorable à porter. Ils y trouvèrent d'ailleurs un désavantage assez grand. Le pavillon blanc, étant celui des bâtiments du roi, était partout l'objet des respects, et nul n'aurait osé manquer aux égards que Louis XIV avait su obtenir pour lui: les transactions faites à l'abri de ce pavillon pouvaient donc être plus faciles, parce qu'il supposait une provision royale, et de promptes réparations obtenues pour les avanies faites au navire qu'il couvrait. Les armateurs et les capitaines s'avisèrent, pour celte raison, dans leurs voyages lointains, d'arborer le pavillon blanc. Plusieurs furent molestés; quelques-uns firent sous cette bannière un trafic honteux qui la compromettait; il y en avait fort peu qui fussent en état de se faire rendre les saints que les vaisseaux du roi obtenaient toujours, au moins par la force, pour l'enseigne militaire qu'ils montraient aux alliés et aux ennemis de la France. On fut instruit de ces circonstances à la cour, et, le 9 octobre 1661, Loménie fit signer à Louis XIV une ordonnance dont voici la teneur, en abrégé:

Sa Majesté ayant été informée que plusieurs particuliers, capitaines, maîtres et patrons de vaisseaux étant à la mer, et allant en voyage de long cours, au lieu de porter seulement l'ancien pavillon de la nation française, prennent la liberté d'arborer le pavillon blanc, pour en tirer avantage dans leur commerce et navigation, au préjudice souvent de l'honneur qui y est dû, et qu'ils sacrifient dans les rencontres à leur intérêt particulier, n'étant pas en état de pouvoir obliger ceux qui le doivent à le rendre, ou ne sachant pas la manière dont il faut en user dans de pareilles rencontres Fait très-expresses inhibitions et défenses à tous capitaines, etc.... de porter le pavillon blanc, qui est réservé à ses seuls vaisseaux; et veut et ordonne qu'ils arborent seulement l’ancien pavillon de la nation française, qui est la croix blanche dans un étendard d'étoffe bleue, avec l'écu des armes de Sa Majesté sur le tout.

Cette défense expresse du roi fut assez mal observée par les capitaines; car la cour se vit obligée d'envoyer des bâtiments de guerre en croisière, et notamment sur la côte d'Afrique, les vaisseaux de MM. de Beaulieu et de Pallas, pour contraindre ces marchands à exécuter l'ordonnance.
Le 12 juillet 1670, Colbert, donnant une nouvelle ordonnance sur le service de la marine, rappela, art. 12, la disposition de celle de 1661 sur le pavillon.
En 1689, quand le grand ministre fit l'ordonnance célèbre dont, par parenthèse, plusieurs dispositions furent empruntées aux usages de la marine hollandaise et de la marine anglaise, et qui encore aujourd'hui sert de base à notre code maritime et à l'ordonnance du service à la mer, il conserva le texte qui prescrivait le port du pavillon bleu à croix blanche. Seulement il ajouta :tout elle autre distinction qu'ils jugeront à propos, pourvu que leur enseigne de poupe ne soit pas entièrement blanche. »
Ce fut alors qu'on vit ces pavillons où le blanc et le bleu se combinaient dans des dispositions sans nombre, au caprice des armateurs, mais toujours avec l'intention manifeste de diminuer le bleu et de faire prédominer le blanc. Pourquoi cette tendance? Était-ce vanité, ou bien intérêt? Je l'ignore. Les documents positifs me manquent pour arriver à la solution de cette question : toujours est-il que chaque marchand se fit son pavillon, et que bien peu de navires portèrent la croix blanche sur le fond bleu.

Soit désir de donner satisfaction à des armateurs qui avaient rendu de grands services, soit volonté de faire revenir les bâtiments du commerce à une unité de pavillon : comme on s'éloignait beaucoup du temps où la croix d'argent sur fond d'azur était le pavillon de la nation, on permit aux marchands de déployer l'enseigne blanche sur la poupe de leurs navires. C'était, comme je l'ai dit plus haut, en 1765. Le pavillon blanc flotta dans les ports, sur les rades et à la mer jusqu'à la fin de 1790; alors il reçut dans son quartier supérieur le nouveau pavillon de beaupré qu'on venait de composer.

ÉTYMOLOGIES.

A pavillon d'abord. Et commençons par mettre hors de cause M. Du Pavillon, à qui une erreur asses répandue a fait gratuitement l'honneur d'avoir imposé son nom aux drapeaux maritimes. Du Pavillon servait dans la marine vers le milieu du dernier siècle, et j'ai rapporté une ordonnance de Louis XIV (celle de 1661) qui parle de l'ancien pavillon français. Le mot pavillon est donc dans la langue maritime depuis Louis XIII au moins; M. Du Pavillon n'a rien a y prétendre.